C’est devenu l’emblème des fêtes de fin d’année. Bien plus qu’un vêtement, le pull moche de Noël est un incontournable de la culture pop, qui ponctue Bridget Jones ou The Holiday. Mais son histoire dépasse l’objet lui-même et raconte l’itinéraire du moche, véritable produit de consommation, de l’ugly chic à l’ugly core.
La reine du pull moche de Noël est de retour ! Avec la sortie du nouveau Bridget Jones : Folle de lui, comment ne pas penser au premier volet de la saga, en 2001, où Mister Darcy (Colin Firth) arbore piteusement sa laine verte décorée d’un énorme renne, devenue culte. Viennent aussi à l’esprit les pulls tricotés de Molly Weasley dans Harry Potter, ou encore celui du Grinch et son fameux « Ho ! Ho ! Ho ! ». Mais bien avant d’être une pratique sarcastique, le pull de Noël, dont le sobriquet n’inclut pas encore le terme moche, est d’abord une tradition familiale.
Fâcheuse tendance
Dans les années 50, la coutume est au tricotage de pulls pour les petits-enfants, souvent portés à contre-cœur pendant les fêtes de fin d’année. Ils se multiplient avec le boum du prêt-à-porter manufacturé des années 80, qui les voit passer d’un cadeau fait main à un produit de supermarché. Longtemps moqués pour leur manque d’élégance, les pulls de Noël sont aujourd’hui un essentiel des vestiaires branchés et au fait de l’ugly core, la (nouvelle) tendance du moche.

Déjà, dans les années 70, le kitsch fait son apparition dans la rue, avec ses accessoires en toc et ses inspirations hippie-disco. Chez les maisons de luxe, c’est Miuccia Prada qui popularise son ugly chic à base de combinaisons de motifs et de couleurs, dont le Muccia Sludge, un vert bileux. Considérée comme le summum du « mauvais goût », cette tendance du kitsch va pourtant marquer l’époque et connaître une recrudescence de nos jours. Du grunge des années 90 à l’ugly core actuel, le moche est devenu en quelques décennies un objet de consommation à proprement parler.
La part belle aux privilèges
Chaque année, pour le troisième vendredi du mois de décembre, la place est au meilleur du pire pour fêter l’Ugly Christmas Sweater Day. Au bureau ou aux courses, cette journée de célébration du ridicule fait des adeptes partout et se propage de plus en plus. Mais tout n’est pas beau au pays du moche. Pour répondre à la demande des consommateur·ices, les supermarchés redoublent de stratagèmes pour fournir des pulls à prix réduit en faisant fi de la qualité et de l’origine du produit. Ces vêtements, pour la grande majorité, ne seront portés qu’une fois avant d’être relégués au placard.

En parallèle des questions écologiques, la pratique du pull de Noël souligne le fossé entre les classes. Tandis que l’employé·e lambda gagne une journée où le ridicule est toléré, le luxe s’offre une nouvelle tendance profitable. Poverty Cosplay, hobo fashion ou néo-pauvre, les grandes marques, à l’instar de Balenciaga, capitalisent sur les vêtements des plus démunis et font d’un problème social une esthétique à la mode bourgeoise. Si le moche est onéreux, la turpitude n’a pas de prix.
Fanny Jonckeau
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About the Author
Fanny Jonckeau
Rédactrice permanente pour Blazé•e•s Magazine et étudiante en master Mode et Communication à Lyon 2. J’ai suivi une formation en sciences du langage et je m’intéresse aujourd’hui à ce que disent les vêtements. Au-delà d’une appréciation pour la création, j’envisage la mode comme un outil pour parler des enjeux contemporains et mettre en perspective nos habitudes de consommation.