Lorine Martin à son oral de fin d'étude.

INTERVIEW. Territoire Féminin, rencontre avec Lorine Martin styliste et modéliste lingerie

Pour Lorine Martin, chaque pièce est une célébration du corps féminin. Elle nous partage aujourd’hui son parcours, ses inspirations et son regard sur l’art de sublimer la féminité à travers ses créations. 

À seulement 22 ans, Lorine Martin, jeune styliste et modéliste originaire de Poitiers, réinvente les codes de la lingerie. Elle explore les liens profonds entre passion pour le corps féminin, quête de confort et désir d’inclusivité. Marquée par de fortes expériences personnelles et professionnelles, Lorine aspire à redonner confiance aux femmes à travers ses créations. Rencontre avec une créatrice audacieuse qui rêve de bousculer les codes de l’intime.

Blazé.e.s. Quel a été ton parcours jusqu’à présent ?

Lorine. J’ai commencé par un BAC STD2A [sciences et technologies du design et des arts appliqués, ndlr],  avant de m’orienter vers un DN MADe [Diplôme des  métiers d’art et du design, ndlr] mention Mode innovation, corps et mouvements à Grenoble. Après avoir obtenu mon diplôme j’ai fait une formation de modéliste en lingerie-corseterie balnéaire. La suite logique a été de me lancer dans le monde du travail mais ça a été une désillusion complète. En cherchant j’ai été confrontée à l’indifférence des entreprises face aux jeunes qui sortent d’études, car pour eux on a pas assez d’expérience alors que bien au contraire on en a. Aujourd’hui je travaille dans le prêt-à-porter en tant que vendeuse, c’est finalement assez intéressant d’être sur le terrain. 

Qu’est-ce qui t’a poussé à choisir cette voie ?

Durant ma deuxième année de DN MADe, j’ai fait un stage de 3 mois dans une entreprise de lingerie menstruelle qui s’appelle La Minette. J’ai eu la chance de développer pas mal de collections menstruelles, ce que j’ai beaucoup apprécié. 

Grâce à ce stage, je me suis rendu compte que créer de la lingerie était vraiment ce que je voulais faire. C’est le domaine où je peux exprimer toute ma créativité autour de l’intimité et du corps des femmes. Ma dernière année de DN MADe est d’ailleurs complètement axée autour de ce projet. Le cancer du sein de ma mère m’a marquée et le fait qu’elle ne trouve pas de lingerie adaptée m’a inspirée. J’ai alors créé une collection de lingerie de sous-vêtements hybrides, dédiée aux femmes ayant ou ayant eu un cancer du sein. 

Quels moments marquants de ta carrière t’ont particulièrement influencée ?

Lorsque j’étais plus jeune, je portais un corset pour ma scoliose, le rapport avec mon corps était assez compliqué à ce moment-là. J’avais comme une distance avec mon propre corps. En grandissant, j’ai découvert l’intimité de celui-ci en achetant de la lingerie, et c’est la première fois que j’appréciais ce que je voyais, je découvrais la beauté de mon corps. La lingerie m’a permis d’avoir confiance en moi et c’est un sentiment que j’ai eu envie de partager aux autres, d’entrer dans cet espace intime pour réfléchir à ce qui pourrait plaire, être confortable, à comprendre la manière dont les femmes portent leur lingerie.  Mes stages et mon mémoire ont aussi joué un rôle clé pour débloquer mon choix de carrière. 

Le collectif c’est donc une notion importante pour toi ? 

Oui car il y a aussi une notion de sororité avec la lingerie, par exemple quand j’ai fait mon défilé de lingerie à la fin de mon année de formation, on s’est vraiment toutes encouragées les une les autres, on s’est entraidées, et on s’est senties puissantes et fortes alors qu’on allait défiler devant 500 personnes en culottes. On a pris confiance en nous dans l’amour et le respect de chacunes. C’est vraiment important pour moi de ne pas être critique envers les autres car dans mon travail, l’acceptation de soi et de l’autre est vraiment une valeur centrale. 

Collection de fin de formation en lingerie, Lorine Martin
© Lorine Martin

Tu as écrit un mémoire qui s’intitule Territoires Féminins. Se réapproprier sa féminité : quel rôle à le vêtement dans l’acceptation de soi. Peux-tu nous en dire plus ? 

La première partie consistait à étudier la manière dont le corps de la femme avait été traité dans notre société, comment il était perçu et les injonctions qui gravitaient autour. J’ai ensuite dressé un historique du sous-vêtement pour comprendre ses évolutions puis j’ai analysé sa dimension privée et donc intime. J’en ai conclu qu’il permettait de se réapproprier son corps. Pour préciser davantage le sujet, je me suis intéressée aux personnes ayant été touchées par un cancer du sein. En effet, en raison des opérations qu’elles pouvaient subir, une forme de dépossession de leurs corps pouvait apparaître car cela touchait à leur féminité. 

Quel est le rôle de la lingerie dans ce cadre spécifique ?

Le rôle de la lingerie c’est d’aider certaines personnes à se réapproprier leurs corps. Je voulais à travers la collection qui a suivi permettre aux femmes de se réconcilier avec ce dernier et leur féminité car il existe une multitude de féminités et perdre un sein ne signifie pas perdre sa féminité. 

Quelles sont les contraintes que tu as rencontrées ? 

Après mon analyse, je me suis rendu compte du grand nombre de contraintes liées aux matériaux et au confort. Il est notamment conseillé de porter des soutiens-gorges 100% coton mais très peu de marques s’en soucient et les soutiens-gorges postopératoires sur le marché ne le sont généralement pas. Il y a beaucoup d’incohérences aussi au niveau des attaches car il faudrait que le soutien-gorge puisse s’enfiler comme un gilet, qu’il n’y ait pas d’armature, tout ça pour préserver les cicatrices. Le confort aussi n’est pas toujours au rendez-vous, notamment pour les plus grosses poitrines. Le problème principal c’est aussi la manière dont ces femmes sont considérées par les marques dans l’industrie de la lingerie. Certaines font des efforts mais négligent l’aspect esthétique qui est fondamental. Pour répondre à ce problème j’ai par exemple confectionné un soutien-gorge mono bonnet qui répartit le poids dans le dos par une bretelle pour ne pas créer de déséquilibre chez les femmes ayant subi une ablation d’un sein. 

Collection de mémoire Lorine Martin
© Lorine Martin

Quel impact souhaites-tu laisser à travers ton travail ou tes actions ?

Je veux que les gens se sentent bien dans les pièces que je vais proposer, qu’ils se sentent à l’aise, qu’ils reprennent confiance en eux si ce n’est pas déjà fait, que ma lingerie soit comme un super pouvoir : le pouvoir de s’accepter.

Dans le domaine de la lingerie et surtout dans les grandes tailles, il y a encore beaucoup de travail à faire car par exemple ma maman fait du E et tout ce qu’elle trouve ça fait grand-mère. Ce n’est pas flatteur même pour son âge. Les sous-vêtements d’aujourd’hui sont trop classés par catégorie d’âge, et si tu as passé les 60 ans tu es considérée comme « périmée » et tu n’a pas le droit à une lingerie plus sexy alors que tout le monde devrait avoir le droit de se sentir belle même après 60 ans.

Pour les grandes tailles c’est difficile de trouver les bon modèles. Là où je travaille par exemple, les soutiens-gorges proposés pour les bonnets D sont directement classés « grande taille ». Il n’y a que quatre modèles et ils ne sont pas beaux, et en plus hors de prix. Ce n’est pas juste, alors j’aimerais qu’il y ait plus d’inclusivité pour les grandes tailles. 

Quels sont tes projets futurs dans ce domaine ? 

J’aimerais créer mon atelier de lingerie artisanale car aucune entreprise ne veut m’accorder ma chance. Avec plusieurs types de lingeries inspirées des morphologies de mes copines, et nommer celles-ci par leurs prénoms. Le panel de morphologies dans mon entourage m’invite à proposer de la lingerie inclusive. A terme, je souhaiterais proposer mes compétences à des grandes marques de lingerie.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait suivre un parcours similaire au tien ?

Je lui dirais d’être organisé.e, de rester positif.ve peu importe les événements, et de pas oublier de passer outre les critiques car le plus important c’est sa propre expérience personnelle et professionnelle. Vous avez votre valeur et personne ne peut vous l’enlever. 

Il faut aussi arrêter de réfléchir à l’avenir et ne pas avoir peur de tenter !

Si tu étais un objet de mode, lequel serais-tu ? 

J’hésite entre une culotte et une marinière… Une marinière c’est indémodable, c’est un classique qui s’accorde avec tout et il existe plein de dérivés. C’est doux et mignon. 

Maureen Manenc

© Lorine Martin

About the Author

Maureen Manenc

Rédactrice permanente pour Blazé·e·s Magazine et étudiante en Master Mode et Communication à l’Université de la Mode de Lyon. Je viens d’une formation en design de mode spécialisée dans l’innovation, le corps et le mouvement. Passionnée de graphisme, je veux faire dialoguer image et mode à travers mon travail et explorer davantage cette dimension visuelle dans l’industrie de la mode.