Si la mode est souvent associée à l’harmonie et à la perfection, il existe des moments où l’industrie se détourne délibérément de ces conventions. De ce virage abrupt naît l’Ugly Chic de Prada dans les années 90, qui a radicalement redéfini la perception de la beauté.
Avec le tout récent départ de Demna de Balenciaga, la mode perd celui qui menait la barque de l’Ugly Chic moderne. Au cours de ses 10 ans de loyaux services à la maison espagnole, le créateur géorgien a su allier avec brio les formes du fondateur de la marque avec sa vision parfois incompréhensible de l’habillement. Si ses collections ont révolutionné la fashion sphère, il n’en n’est pas pour autant le précurseur. Près de 30 ans avant lui, Miuccia Prada s’initie alors au « moche » qui devient standard.
La fusion des contrastes
Dans l’univers de la mode, les années 90 représentent une décennie de bouleversements stylistiques, où la recherche de l’innovation s’empare des plus grand·es créateur·ices. L’une des premières signatures de Prada réside dans son utilisation audacieuse de matériaux. Alors que la mode se tourne généralement vers des tissus raffinés, Miuccia choisit des matières jugées « banales » pour les élever au rang du luxe. Le nylon, les textiles techniques, et des textures brutes apparaissent alors dans ses collections, anticipant ce que serait le style Prada des années futures.

Bien loin des coupes serrées qui mettent en valeur la silhouette féminine, elle expérimente avec des volumes inattendus. Les vêtements sont amples, tantôt trop grands, et parfois même « déguisés » , comme si les pièces avaient été empruntées à une autre époque ou à un autre monde. Ce choix n’est pas qu’une simple quête esthétique, c’est un manifeste pour la réinvention des codes du luxe. La petite fille du fondateur sait que l’âme de l’élégance réside parfois dans l’inattendu.
Accessoires sans dessus dessous
Les accessoires de Prada, bien que souvent jugés improbables, s’inscrivent parfaitement dans cette vision décalée du luxe. Les sacs rigides, les formes géométriques des chaussures ou encore les détails visuels forts créent un univers où l’imperfection devient la norme. Mais ici, le « laid » ne fait pas tâche. Au contraire, il devient le symbole d’un luxe sans compromis, où la créativité prime sur la conformité. Chaque accessoire semble raconter une histoire en dehors des règles établies.

Là où la mode des années 90 privilégie des couleurs chaudes et terreuses, Prada ose une palette plus étrange et audacieuse. Des verts olive aux bruns profonds, en passant par des jaunes éclatants, les teintes moins conventionnelles s’imposent comme des coups de maître dans cet univers tiré à quatre épingles. Ce nuancier, loin de chercher à plaire à tous·tes, a pour quête de susciter une émotion, de désarmer les codes traditionnels associés à la beauté.
Le laid comme instigateur
Ce que Prada accomplit est une réflexion profonde sur le luxe lui-même. En combinant des matériaux considérés comme vulgaires avec une qualité de fabrication irréprochable, Miuccia transforme ce qui pourrait être perçu comme de l’ironie en une forme sublime de sophistication. Le paradoxe de l’ugly chic réside dans ce contraste frappant : un luxe qui ne cherche pas à séduire par sa perfection, mais qui trouve sa beauté dans l’imperfection et la subversion des attentes.
Si aujourd’hui le terme « ugly chic » est synonyme de renouveau stylistique, c’est à Miuccia Prada que l’on doit cette vision audacieuse et précurseur de la mode contemporaine. Un point de vue qui sera suivi, quoique lourdement critiqué, par celleux qui s’en serviront par la suite comme blason. Si le « moche » de Balenciaga est parfois considéré comme une critique inventive d’une société évidente de surconsommation, elle incarne néanmoins les défauts qui gangrènent l’industrie.
Lou Gindro
© Lookbook Prada printemps été 1996.

About the Author
Lou Gindro
Rédactrice permanente pour Blazé·e·s Magazine. Etudiante en Master Mode et Communication à l’Université de la Mode Lyon 2. J’ai suivi une formation en Langues Etrangères Appliquées. Je perçois la mode comme une forme ultime d’art et d’expression et souhaite écrire sur ce sujet professionnellement.