PERSPECTIVES. En 2018, Gucci et Dior réveillent l’esprit révolutionnaire des années 1960. En s’emparant de luttes sociales, les deux maisons de luxe transforment leurs campagnes en véritables outils politiques. Retour sur ces deux opérations qui insèrent l’industrie de la mode dans l’intellectualisation des arts.
Et si la révolution pouvait se faire autant sur des catwalks que dans la rue ? Au 21e siècle, les marques tentent de se différencier et donnent plus d’importance aux valeurs et aux engagements, le produit n’étant souvent plus le seul argument de vente. Dans ce contexte, les actions publicitaires des maisons de luxe sont parfois plus ancrées dans le monde qui les entoure. C’est le cas de Gucci, qui dévoile en 2018 une campagne sur les évènements de Mai 68, et Dior, dont la collection automne-hiver 2018-2019 fait échos aux mouvements féministes modernes. Elles réactualisent alors des problématiques importantes sur le rôle des opérations commerciales qui instrumentalisent des causes sociales comme outil de vente.
Le saviez-vous ? Gucci est soixante huitard… en tout cas en 2018
Nous sommes début 2018. La maison Gucci dévoile sa campagne pour la collection pré-automne. Réalisée par Glen Luchford, « Gucci dans les rues » rend explicitement hommage aux événements de 1968. Habitué des collaborations sous la direction artistique d’Alessandro Michele, le photographe s’empare des symboles et slogans des manifestations de Mai 68, comme le fameux « il est interdit d’interdire ». Il construit un monde alternatif où les mannequins, en Gucci de pied en cap, jouent les étudiant⋅es qui protestent. Entre les élèves qui escaladent les rambardes des écoles et lancent des fumigènes, et celleux qui empilent des chaises pour créer des barrages… C’est l’effervescence, comme en 1968. A quelques milliers d’euros près.
La France connaissait les plus grandes grèves de son histoire, 50 ans avant la collection Gucci. Celles-ci avaient permis une convergence des luttes inédite, entre mouvement étudiant pour l’émancipation sexuelle, lutte contre les inégalités de sexes et mouvement des travailleur⋅ses pour une hausse des salaires et une révision de leurs conditions de travail. En interprétant ces événements au 21ème siècle, la maison italienne s’ancre dans le social. Elle s’immisce dans un événement historique et renforce la tension entre commercial et culturel. Elle n’est plus un vêtement à acheter, mais un art de vivre, porteur de convictions.

Ces dernières années, il n’est pas rare de voir des collections qui font échos à des mouvements sociaux. Peu étonnant; la mode, comme toute industrie créative, se construit comme miroir de la société et de ses révolutions culturelles. Dans sa campagne, si Gucci n’explore pas en profondeur les événements de Mai 68, elle n’en vide pas les protestations pour autant.
Un demi-siècle après les faits, Gucci se place explicitement du côté des révoltés. Face à la frénésie de la manifestation et l’embrasement des structures, elle offrirait une épaule. « Gucci s’approprie mai 68 » (CBNews), « Gucci célèbre la révolution de 1968 » (L’Officiel); les avis divergent. Il est certes ironique de penser qu’une manifestation comme celle de 1968, choisirait le géant du luxe Kering, comme allié de lutte contre les conditions du capitalisme. Alors, que vaut cette esthétisation des mobilisations ?
Chez Dior, le féminisme, c’est cool !
Gucci n’est d’ailleurs pas la seule marque à faire résonner passé et présent. En 2018, la maison Dior fait la Une des journaux après son défilé automne-hiver 2018-2019. Il rappelle tant la fin des années 60, marquée par ce qu’on appelle la « deuxième vague du féminisme » que les mouvements modernes comme #MeToo et #BalanceTonPorc, apparus après l’affaire Weinstein en 2017.
Maria Grazia Chiuri, première femme à avoir été nommée à la direction artistique de Dior, crée une collection qui se lit comme une ôde au féminisme. « L’égalité des droits et des devoirs demeure la grande conquête de cette époque » se lit sur la note d’intention du défilé. Les mannequins défilent devant un fond « I am a woman », et un papier peint d’affiches féministes tapisse le catwalk, façon scrapbook. La maison rend hommage à la mobilisation féministe des années 1960, qui a bouillonné sous la double influence du mouvement de libération des femmes aux Etats-Unis et des écrits de Simone de Beauvoir.

Mais en plus des références assumées aux Sixties, la collection fait écho aux mouvements féministes actuels contre les violences sexistes et sexuelles. « C’est non, non, non et non ! » se lit sur un des pulls de la collection.
A l’heure où les témoignages de victimes ont mis en lumière le problème sociétal qui fait du viol un crime de domination de genre, la marque de mode se montre au fait de l’actualité et prouve une fois de plus la dynamique culturelle de l’industrie. En instrumentalisant les luttes sociales, elle cherche sa légitimation, et tente de valoriser son image, les valeurs et l’éthique étant devenues des points centraux dans la relation au consommateur.
Si l’on peut toujours pointer du doigt les attitudes pseudo-engagées des maisons qui tendent à tomber dans le name dropping, et le traitement esthétisé et simplifié de mouvements sociaux, ces campagnes ont le mérite d’une chose : utiliser leur espace pour créer une discussion et maintenir des sujets dans le débat public. Reste à se demander s’il est possible d’articuler un discours et des actions engagées sur des structures qui, par nature, s’y opposent.
Pauline Trémolet
© Glen Luchford

About the Author
Pauline Trémolet
Apprentie directrice artistique et jeune journaliste en Cultural Studies. Etudiante en Master en Communication et Industries Créatives à Sciences Po Paris, la théorie inspire pleinement mes recherches artistiques, imprégnées des questions des représentations du corps, du genre, et des subcultures. Mon travail se veut pluridisciplinaire, et ma page Instagram me sert de lieu d’expérimentation et d’apprentissage d’une cohérence artistique.