PERSPECTIVES. Paris, années 80, une armée de designers japonais talentueux débarquent à à la capitale. Au programme: créations sombres et déstructurées, prête à dynamiter les codes de la haute couture. Les répercussions sur la mode parisienne seront sans précédent, apportant une nouvelle vision radicale dans un paysage saturé de luxe tapageur.
Une tornade venue du Japon s’apprête à retourner la mode parisienne comme un tailleur bien repassé un jour de défilé. Son nom ? Rei Kawakubo. Du haut de ses 39 ans, la fondatrice de Comme des Garçons débarque avec ses silhouettes sombres et déstructurées, prête à secouer le petit monde bien rangé de la haute couture. Mais attention, elle n’est pas la seule impliquée dans cette mission. Depuis quelques années déjà, d’autres designers nippons ont décidé d’envahir Paris avec leurs visions avant-gardistes. Parmi elleux, des noms devenus aujourd’hui mythiques : Hanae Mori, Yohji Yamamoto ou encore Issey Miyake. Au moment où les épaules XXL de Mugler et les couleurs flashy de Saint Laurent font la loi, ces nouveaux·elles arrivant·es débarquent avec un vestiaire radicalement différent. Autant dire que l’establishment de la mode n’est pas prêt à encaisser ce choc stylistique.
La panique commence à se faire sentir
Les codes sont bousculés, démontés, tout est remis en question : au revoir coloris explosifs, bienvenue noir absolu. Les coupes asymétriques, les silhouettes amples et les déstructurations troublent le regard, habitué à des lignes bien nettes. Même les mannequins choisi·es sortent des standards. Bref, c’est la panique dans les front rows.
Et qui dit bouleversement dit… critiques bien salées ! Les vêtements de Kawakubo et Yamamoto sont qualifiés de « chiffons » (pas très chic, pour un milieu qui adore les soieries) ou de « mode post-atomique » (carrément dramatique). Il faut dire qu’à une époque où le luxe se conjugue avec bourgeoisie et opulence, ces créateur·ices semblent parler une langue extraterrestre. Trop différent·es, trop conceptuel·les, trop sombres ? Peut-être, mais surtout trop en avance sur leur temps.

Heureusement, la mode a cette capacité fascinante à transformer l’incompréhensible en tendance incontournable. Si de prime abord tout Paris avait l’air de cracher sur cette nouvelle mode subversive, il ne fallut que quelques années pour qu’un public plus avant-gardiste commence à voir le génie derrière ces silhouettes hors normes. En quelques années, ces « chiffons » deviennent des pièces cultes, et la mode japonaise s’impose comme une influence incontournable. Ses techniques innovantes et sa manière de penser le vêtement inspirent toute une génération de créateur·ices, des Six d’Anvers à un certain Martin Margiela, en passant par Raf Simons. Finalement, en moins d’une décennie, la mode japonaise aura su conquérir le monde en changeant radicalement la façon de percevoir la mode des occidentaux·ales qui ont complètement assimilé ces nouveaux codes et s’en inspirent toujours aujourd’hui.
Un retournement de veste bien radical
Une revanche stylistique, ou simplement la preuve que la mode finit toujours par adopter ce qui l’effrayait hier ? C’est en tout cas la thèse d’Alice Pfeiffer dans Le Goût du Moche : ce qui choque d’abord finit souvent par être encensé.
Mais une question reste en suspens : cette reconnaissance aurait-elle été la même sans l’appropriation de leurs idées par des créateur·ices occidentaux·ales ? Après tout, Margiela avec sa déconstruction et ses iconiques tabi, ou Dries Van Noten et son amour du kimono, doivent beaucoup à cette vague japonaise. Alors, reconnaissance sincère ou validation nécessaire par l’Occident ? En tout cas, une chose est sûre : ce que Rei & co ont apporté à la mode ne se limite pas à une simple tendance passagère. Iels ont changé la définition même de ce que peut être un vêtement. Pas mal pour des « chiffons » !
Lubin Jamois
©Max Vadukul

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Lubin Jamois
Étudiant à l’université Lumière Lyon 2 en Master mode et communication, je m’essaye aujourd’hui à la création de mon premier article.