USA vs France, la Bataille de Versailles

28 novembre 1973. Opéra Royal. Dans un besoin de réunir des dons pour rénover le château de Versailles, un défilé est organisé. Ce combat inattendu opposant créateur·ices américain·es et couturiers français a façonné la mode telle qu’on la connaît aujourd’hui.

De la musique pop à l’Opéra de Versailles et des mannequins qui tourbillonnent sur scène. Impossible, mais iels l’ont fait. Il y a 50 ans, cet événement caritatif, présidé par la baronne Marie-Hélène de Rothschild, mettait en scène cinq créateur·ices américain·es et cinq couturiers français. Le défilé prévoit un panel d’invité·es de la société bourgeoise. De la princesse de Monaco à Joséphine Baker, en passant par Grace Kelly, près de 700 convives sont attendu·es. Cette soirée imaginée par la fondatrice du Council of Fashion Designers of America, Eleanor Lambert, aurait sûrement plu au roi soleil. 

« La Bataille de Versailles » tient son nom de la journaliste Robin Givhan qui la renomme ainsi, en 2015, dans un ouvrage dédié. Bien que cette soirée soit historique, elle n’a pas toujours été vue d’un bon œil. On assiste à une compétition entre mondain·es à un moment où les sociétés tremblent. En France, mai 68 est encore gravé dans les esprits. À l’internationale, de nombreux mouvements prônant la liberté des ethnies et des genres se font entendre dans les grandes villes. Les années 1970 sont aussi marquées par un contexte de guerre froide, dont les Etats-Unis sont protagonistes, avec une guerre encore active au Vietnam. Comment la mode américaine a rebattu les cartes de l’hégémonie française en une soirée ? Retour sur ce défilé à la tournure exceptionnelle.

Entre coutures et fractures

Dès le départ, les médias annoncent un choc des cultures. Du côté français, les têtes d’affiches sont Yves Saint Laurent (YSL), Hubert de Givenchy, Dior (représenté par Marc Bohan), Emmanuel Ungaro, et Pierre Cardin. De l’autre, on retrouve les américain·es Roy Halston, Oscar de la Renta, Stephen Burrow, Anne Klein, et Bill Blass. Entre haute couture et créateur·ices, d’autres grandes batailles se déroulent.

Quatre mannequins américaines défilant dans la Galerie des Glaces de Versailles.
Quatre mannequins américaines défilant dans la Galerie des Glaces de Versailles. © Alain Dejean/Sygma via Getty Images

Les américain·es marquent les esprits dès leur arrivée sur le sol français avec 36 mannequins dont 10 femmes afro-américaines. Un choix audacieux, à une époque où de nombreuses personnes sont victimes de racisme. Les premières tensions se font ressentir pendant les préparatifs du défilé, en particulier face au manque d’équité entre français et américain·es. « Les français n’ont pas tenu compte des limites de temps. Et c’est à cet instant que la confusion et la bataille ont commencé », confiait Pat Cleveland à Robin Givhan, lors d’une conférence pour la chaîne YouTube du musée The Met.

Paris, blasé ?

Au-delà des crêpages de chignons en coulisses, la réelle bataille s’observe sur scène. Les français commencent. Faute de galanterie ou snobisme total, ce choix devient un coup de pouce majeur pour les américain·es. Les mannequins défilent avec des robes de bals signées Dior et des ensembles YSL. Malgré les performances de Jane Birkin ou encore de Zizi Jeanmaire, les invité·es s’ennuient. Il faut dire que les attentes étaient hautes et la légèreté nécessaire dans ce contexte pesant.

Le défilé signé Anne Klein, la seule femme designer de la Bataille de Versailles.
Le défilé signé Anne Klein, la seule femme designer de la Bataille de Versailles. © Fairchild Archive/Penske Media via Getty Images

Mais, si les français ne peuvent pas offrir aux invité·es ce qu’iels souhaitent, l’équipe américaine est prête. Avant le levé de rideau, les premières notes de Liza Minnelli retentissent dans l’Opéra royal. Les créations américaines ne peuvent être plus différentes des françaises. Couleurs vives, sequins, coupes extravagantes, et plumes illuminent l’Opéra royal ainsi que les yeux des spectateur·ices. Les étasunien·nes proposent un vrai fashion show en faisant jouer les tissus et les textures. Les mouvements apportent une vague de fraîcheur. Le vainqueur n’a pas besoin d’être annoncé. Le public s’émerveille. Les États-Unis se réveillent.

L’effet USA

Les cartes de la mode sont rebattues. La France ne perd pas sa couronne, désormais elle la partage. La haute couture française est impressionnée. Iels découvrent un nouveau style qui va, à leur tour, les inspirer. Avant Versailles, la clientèle américaine demandait principalement des copies de la haute couture française. Après la bataille, les Etats-Unis gagnent en légitimité et les consommateur·ices se laissent tenter par la nouveauté. Dans la continuité des mouvements sociaux, Hubert de Givenchy organise, en 1979, un défilé constitué uniquement de mannequins noir·es. Même si les mannequins de couleurs étaient déjà présent·es sur quelques défilés, iels ne constituaient pas une norme dans les coulisses de castings.

Si la musique rythmait déjà les défilés dans les sixties, la Bataille de Versailles instaure le standard du fashion show, un spectacle de scénographie et de mise en scène.  

Violaine Charvet

© Reginald Gray/WWD/Penske Media via Getty Images

Pour aller plus loin

Je veux en découvrir davantage sur la Bataille de Versailles.

Pour aller plus loin

Robin Givhan (2022). La bataille de Versailles. La nuit qui a changé la face de la mode. Editions Séguier.

About the Author

Violaine Charvet

Rédactrice permanente pour Blazé∙e∙s Magazine. Etudiante en Master Mode et Communication à l’Université de la Mode Lyon 2. J’ai suivi une formation en Information Communication. J’aspire à écrire des articles culturels en lien avec la mode.