La seconde-main, un nouveau luxe ?

Quand on pense à la seconde-main en général, ce qui nous vient à l’esprit c’est une veste en jeans des années 80 ou encore une jolie robe Made in France et tout ça en fripe et à un prix dérisoire. Cet imaginaire collectif de la friperie est en train de s’effacer au profit d’une nouvelle génération de commerces d’occasion et de plateformes en ligne qui redéfinissent les codes de la seconde-main. Les friperies, qui de base avaient comme but de faciliter l’accès à l’habillement pour tous, se sont transformées en devenant, inaccessibles au plus grand nombre.

Un marché trendy

En 15 ans, le marché de la seconde-main a explosé, que ce soit pour l’achat de pièces réellement vintage, ou plus récentes. Le site Vinted est même le 5ème site d’e-commerce le plus consulté en 2021, suivi de près par Leboncoin. Sur Tiktok, la tendance seconde-main a aussi pris en intensité avec l’apparition de ce que l’on appelle des hauls, des vidéos consistant à montrer ses achats récents, uniquement dédiés à de la mode d’occasion. Ces vidéos deviennent virales, atteignent plusieurs millions de vues pour certaines, et ainsi se transforment en trends Tiktok, des schémas de vidéos qui se reprennent d’utilisateurs en utilisateurs. Comme @rosabonheur ou @mariegaguech, qui avec leurs 500 000 abonnés sur le réseau social, sont devenus les prêtresses des hauls fripes et Vinted, se mettant en scène avec des pièces d’exception chinées à des prix dérisoires, un sac Fendi Baguette pour 50€ ou un T-Shirt Dior génération Galliano pour 15€ par exemple. L’envie de trouver la perle rare, la bonne affaire, est devenue un réel divertissement et même une obsession pour les utilisateurs Tiktok, participant à la démocratisation de ces pratiques.

@mariegaguech

C’est quoi ta pièce préférée ?! 💸💰 Insta @Marieggch 💋🖤

♬ Blinding Lights – The Weeknd
@rosabohneur

Je les aime trop 💕🥹🥹

♬ son original – Rosabohneur

Entre dérives et pertes de sens, la tendance n’a pas forcément que du bon

Les tendances sont malgré elles, responsables de l’augmentation du prix de la seconde main. Les friperies ont revu leurs grilles tarifaires : les prix qui étaient de bases fixés par catégorie d’articles ( jeans, chemises, robes…) sont désormais établies par rapport au montant maximum qu’un consommateur pourrait payer pour l’article. Tout cela, bien évidemment en suivant les tendances sur les réseaux sociaux. Les friperies lyonnaises sont particulièrement touchées par ce phénomène. On peut prendre l’exemple de magasins comme Elephant Vintage Store ou Tilt Vintage, qui exercent des prix frisant ceux de magasins proposant des vêtements neufs.

Cet écart de prix, trop peu important, participe à la perte de sens constaté de la mode d’occasion. De base étant faites pour rendre accessibles les vêtements aux plus grands nombres et également dans un but de protection environnemental, le consommateur classique se tournera d’autant plus vers le « neuf » que vers un vêtement qui a déjà été porté quand ce genre de prix sont exercés. On s’éloigne petit à petit de l’essence de ce type de lieu.
Ces fripes rencontrent tout de même un grand succès, une clientèle plus aisée est de plus en plus amenée à fréquenter ce genre d’établissements.
L’apparition des comptes dits « pro » sur Vinted, participe également à ce phénomène. Certains utilisateurs ont la possibilité de déclarer leurs ventes comme une activité professionnelle. Ce passage de l’amateur au pro est également un facteur participant à la gentrification : les prix augmentent, le marché de la seconde main devient un lieu de spéculation à cause de l’achat-revente exercé par ce type d’utilisateurs.

La tendance du « néo-pauvre »

La gentrification de la mode d’occasion a bouleversé les codes et a ouvert la porte des lieux de vente de seconde main à un nouveau public plus aisé. Ce que l’on pourrait également caractériser d’embourgeoisement de la seconde main est à l’origine de la tendance du « néo-pauvre ». Cette mode justement controversée a pour but d’utiliser l’esthétique du « pauvre », reprenant tous les codes que ça implique : vêtements démodés, abîmés… S’habiller chez Emmaüs ou dans n’importe quelle ressourcerie solidaire est devenue trendy tout comme le fait d’acheter un t-shirt troué en fripe gentrifié pour 35€ car il est « Y2K » (datant des années 2000).

Le défilé Raf Simons automne-hiver 2016, illustrant la tendance du  » néo-pauvre »

Un futur raisonné pour le marché de la mode d’occasion ?

La seconde main a encore de quoi évoluer, s’améliorer. Malgré de nombreuses remarques que l’on pourrait lui faire, elle reste un moyen de consommer en réduisant drastiquement notre impact sur l’environnement et dans certains cas, en faisant des économies.
Ces dérives sont caractéristiques d’un système économique qui fonctionne, le marché de la mode d’occasion n’a pas fini d’entendre parler de lui. En tant que consommateur, il est tout de même important de privilégier les ressourceries solidaires : nos achats, leur permettant de mettre à bien de nombreux projets et ainsi d’éviter le fait qu’acheter de la seconde main puisse devenir un luxe.

Rosalie Muller