Les imaginaires des suds : décolonialité et mode en Amérique Latine

L’habit va au-delà des vêtements et des défilés, la mode d’aujourd’hui est placée dans un lieu de réflexion sur l’histoire, la culture et la société. Soutenu, par exemple, par des disciplines telles que l’esthétique et la sociologie, le concept de mode est élargi et nous pouvons le voir comme un outil précieux pour comprendre les relations de classe et de genre.

Si l’attention est tournée vers l’Amérique latine, la mode, en tant que domaine de connaissance, a été abordé de manière limitée dans les universités et les écoles. Il est récurrent de trouver des personnes qui se plaignent que la mode enseignée est d’origine blanche, presque toujours européenne et représentée dans les publicités et les défilés généralement avec des corps minces et également blancs, une mode qui est universelle et unique.

Alors, que se passe-t-il avec la mode et/ou les façons de s’habiller en Amérique latine ? Qu’est-ce qu’il se passe avec l’esthétique, les ornements et les cosmologies des peuples autochtones d’Amérique latine ? Ils entrent dans les stéréotypes de l’exotisme, étant souvent étudiés en classe comme l’esthétique et les façons de s’habiller de « l’autre », dont ils ne sont pas européens et par conséquent non civilisés.  

©Karla Castañeda

Ces idées stigmatisées des populations non européennes sont des vestiges de la logique impérialiste occidentale. Les sociétés et les cultures colonisées étaient définies comme traditionnelles, authentiques et ancestrales pour souligner leur différence avec la société et la culture européenne. Celle-ci est considérée comme « modernes et cosmopolites », comme pour s’« excuser » d’une politique coloniale oppressive et abusive. En d’autres termes, si ces gens étaient « non civilisés », c’était le « devoir moral » de l’Europe de les « civiliser » par le colonialisme.

Les gens qui ont documenté le patrimoine culturel local de ces cultures colonisées l’ont fait de manière orientalisante et folklorique. Ils ont dépouillé ces sociétés et ces cultures de leur histoire (de mode) riche et dynamique, en les transformant en « personnes sans histoire » et donc « sous-développées ».

Il est important de se demander si ce phénomène de « colonisation » continue de se produire directement ou indirectement aujourd’hui, par exemple, le fait que les podiums des défilés en Amérique latine se sont adaptés aux saisons de la mode européenne ou américaine « printemps-été » « automne-hiver ». Il faut savoir que de nombreux pays d’Amérique latine n’ont pas de changements saisonniers, les marques de vêtements latino-américaines s’inspirent, copient les styles et suivent des tendances européennes pour créer leurs collections et être « à la mode ».

D’autre part, les modes qui tentent de se démarquer et de se différencier en tant qu’autochtones et non européennes ont tendance à être stéréotypées, de la même façon que l’impression à la cire pour les stylistes africains, le minimalisme pour les Asiatiques ou les couleurs vives pour les latino-américains ne sont pas seulement un héritage de la pensée impérialiste eurocentrique, mais aussi un moyen persistant de différenciation, d’essentialisation et d’exclusion des autres modes du discours dominant de la mode eurocentrique.

Dans un article paru dans Vogue Amérique Latine par Amira Saim le 16 août 2021, le look latino-américain est défini comme « des silhouettes qui mettent en valeur les courbes, des ourlets à volants de tailles variables, des manches exagérées et des imprimés avec des motifs qui font référence à la flore et à la faune de la région » et est devenu une représentation du travail de différents stylistes latino-américains tels que  Silvia Tcherassi  et Johanna Ortiz par exemple ; même si cette  « esthétique latino-américaine » est réussie et clairement dominé par  l’inspiration caribéenne, il ne représente même pas la moitié de la diversité culturelle de ces pays.

La collection croisière 2020 de la créatrice colombienne Johanna Ortiz ©Lucca Cano

D’autre part, certains créateurs latino-américains ont tendance à « s’auto-orientaliser » ou à « s’auto-exotiser », ce qui est un puissant outil de marketing qui fonctionne bien à la fois au niveau national et international puisqu’il satisfait les désirs de l’exotisme ou de la différence associée au pays d’origine du styliste. Le problème c’est que cela contribue à la différence culturelle, et cette même différence culturelle empêche leur pleine appartenance à une communauté de mode universelle. 

La question est donc de savoir si actuellement, faire référence à l’identité culturelle stéréotypée est simplement devenu un outil de marketing pour les créateurs de mode latino-américains, ou si on peut considérer la mode latino-américaine comme un possible outil d’une possible décolonisation ?

Il y a différents points de vue, mais pour décoloniser la mode, il faut arriver à la déconstruction de la signification du mot mode et à la destruction de l’épistème culturel eurocentré, telle que formulée par Walter Mignolo et Rolando Vázquez, deux penseurs influents dans la discipline du décolonialisme, c’est l’idée de revaloriser ce qui a été invisible ou dévalué par l’ordre colonial moderne. Et donc arriver à un point où classer le travail d’un styliste en tant que marocain, latino ou ethnique n’est pas pertinent.

Diana Carolina Ulloa